Il n'y avait pas trente six milles manières d'interpréter l'air horrifié de Livie et Simeon comprit immédiatement ce qu'elle sous entendait en parlant de Leo.

L'agent d'interpol explosa, prétextant que même s'il avait toujours aimé les blondes il n'y avait aucun moyen qu'il s'intéresse au petit frère de la présidente. Il le qualifia même de dingo et même si Livie adorait Leo... Elle devait reconnaître que ce n'était pas spécialement faux !!

Cependant, elle ne pouvait pas le laisser rabaisser des membres de sa famille sans protester :

"Dingo ?! Tu veux qu'on parle de Wesley peut-être ?!"

Le seul petit frère de Simeon. C'était assurément le point faible de la brillantissime famille Roy. Wesley n'était pas idiot ou incompétent, loin de là, mais il avait tendance à verser dans la théorie du complot... Ce qui le rendait particulier. Simeon adorait son petit frère. Mais Wesley était pour lui l'équivalent de Leo pour Livie.

Pourtant, malgré ses protestations. Livie ne fut jamais aussi heureuse d'entendre quelqu'un critiquer son frère. Elle sentit une tension se dénouer au creux de son estomac tandis qu'elle finissait par reconnaître qu'elle s'était fait des idées : Simeon n'avait aucun amant ou amante. Tout ce bruit n'était qu'une vieille goule.
Soulagée elle alla spontanément le serrer dans ses bras : "Je suis désolée"
Elle resta quelques longues secondes comme ça avant de s'écarter à nouveau et de reprendre le fil de leur conversation.

"Ecoute, je ne crois pas qu'il ferait ça. Il n'est pas méchant, c'est même tout l'inverse." Leo n'irait jamais voler les clés d'un appartement pour mettre sa vieille goule dedans "Je pense qu'il ne connait même pas cet appartement !... "

C'est alors qu'un cliquetis se fit entendre dans le hall de l'appartement. La porte s'ouvrit et on entendit quelqu'un chantonner "GRENADIIIINNNE, JE T'APPORTE TES RATIONS DE LA SEMAIIIIINE !"

Cedric Roy passa la porte du salon avec un sac rempli de courses.

Je n'aime pas vraiment la contre attaque de Livie. Plutôt qu’admettre la bizarrerie de son frère elle attaque le mien. Mais ce genre de diversion ne marche pas avec moi. Et je le signifie bien :
“Je ne te permets pas de traîter mon frère de dingo ! Il a une sensibilité différente, c'est tout.”

Mais comme Livie se blottit dans mes bras, je n'ai d'autre choix que de fondre. Si ma nomination à Interpol a pu affaiblir notre complicité, au point qu'on ait un temps cru que l'amour s'était tari, je suis aujourd'hui certain qu'il est aussi fort qu'à ses premiers jours.

“Pardon, à toi aussi. lui répond-je.

Quand elle défend son frère, je suis cependant moins attentif. Pas que ça ne m'intéresse pas (mais le hasard fait bien les choses) mais plutôt parce qu'il reste un petit coin de bave dans son dos, et que je viens de mettre la main en plein dedans. Allons bon…

Mais je ne peux pas casser ce moment de tendresse pour remettre sur le tapis la frayeur qu'elle vient d'avoir. Ni même critiquer son corps. Ce n'est pas très gentleman.
Puisqu'il est hors de question que je garde de la bave dans le dos, je caresse mon ex-épouse dans le dos, essuyant par la même occasion la substance gluante. Un peu plus un peu moins…

Maintenant que tout va à nouveau bien entre nous, une dernière question reste en suspend. Qui a bien pu amener cette horreur chez moi (je parle de la goule !). Aucune personne avec un minimum de jugeotte n’enfermerait une créature sauvage (aussi vieille et soit disant “domestiquée” soit-elle) seule dans un bel appartement. J'ai le tourni rien qu'à imaginer le nombre de REPARO qu'il va falloir lancer.

Heureusement, l'enquête se résout en un clin d'œil puisque Cédric entre et se dénonce malgré lui. La tête qu'il fait en nous remarquant m’aurait fait beaucoup rire si les voisins n'étaient pas sur le point de porter plainte. Un mélange de surprise, d'horreur, avec un soupçon d’air penaud qui vaut son pesant de cacahuètes.

“Dis donc jeune homme. C'est toi qui es responsable de cette porcherie ?”
“Pas du tout.”
Son applomb est surprenant et presque digne de respect.
“Tu vas me faire croire que tu nourris Grenadine sans l'avoir amenée ici ?”
“Je pense que Grenadine est une goule libre et qu'elle est responsable de ses actes.”

Je lâche doucement Livie et je m'approche du sale gosse que j'ai apparemment élevé :

“Tu vas me faire le plaisir de nettoyer tout ça de fond en comble. On va faire un état des lieux quand tout sera fini. Faut que ça brille. On parlera de ta punition après.” Puis je m’approche un peu plus de lui et je chuchote à son oreille, moins sévère : “Et je te conseille de commencer par ta mère, elle a de la bave plein le dos c'est dégueulasse.”

Livie adorait ses enfants. Ils étaient beaux, débrouillards, drôles et pour ne rien gâcher : ils ressemblaient terriblement à Simeon. Elle avait toujours adoré chercher en eux des traits de l'homme qu'elle avait autrefois épousé. En d'autre termes, Livie était une maman fière. Pourtant, elle devait reconnaître que Cedric venait de réussir le tour de force de baisser dans son estime... Après tout, toute cette situation était de son fait!

Si Simeon le contraignit au nettoyage forcé des lieux tout en conservant un calme remarquable, Livie fut incapable d'en faire autant. Elle lança un regard noir à leur fils qui blêmit alors qu'il venait de lui lancer un recurvite (avait-elle encore des traces de bave de goule ?). Sa colère transpirait par chaque pore de sa peau lorsqu'elle imposa d'un ton sec : "Tu vas nous dire ce qu'il s'est passé exactement ou en plus du ménage, c'est ta chambre qui sera le prochain lieu de vacances de cette goule." La menace sembla faire mouche car une grimace dégoutée se figea sur le visage du jeune homme : "C'était l'idée de Clint !" Son cousin, l'un des fils de Hevan, le frère aîné de Livie. "Tonton Leo nous a demandé à lui et moi de nous occuper de Grenadine pendant son tour du monde. On devait aller au penthouse de tonton tous les jours pour la nourrir et lui tenir compagnie." Leo, le petit frère de Livie, avait épousé un homme très riche. Il vivait dans l'appartement le plus luxueux de New York et avait au moins trois résidences secondaires. C'était l'argent de son mari qui avait permis de financer la campagne de Livie et la société de production d'Hevan. "Clint a dit que si on trouvait un autre endroit pour loger la goule on pourrait profiter du penthouse le temps du tour du monde sans l'avoir dans nos pattes... Alors j'ai pensé à l'appartement que tonton Luke prête à papa lorsqu'il doit passer la nuit à Londres." Il se tourna vers son père et dit : "Je sais bien qu'il est jamais utilisé parce que tu rentres tous les soirs et j'ai pris les clés. Puis on a transporté la goule ici et on passe tous les jours ! Clint vit dans le penthouse depuis mais comme je l'ai dis on s'occupe de la goule et je pensais vraiment pas que vous le découvririez !"

C'était clairement également son idée à lui mais il cherchait visiblement à tout faire retomber sur son cousin.

"Ecoute moi Cedric. Je veux que cette goule soit dans son penthouse ce soir, c'est compris ? J'en informerai ton oncle." Cedric acquiesça. "Tu écriras des lettre d'excuse à ton père, à chaque voisin, à ton oncle Luke et à ton oncle Leo." Le jeune homme parut soudain abasourdi par la lourdeur de la tâche : "Des lettres d'excuses ?! Mais pourquoi ?!" S'il avait élevé la voix il la baissa rapidement quand il vit le regard de ses parents. C'est Livie qui reprit "Parce que les voisins sont sur le point de porter plainte contre ton père à cause du tapage nocturne ! Alors que c'est de TA faute, Cedric !" La nouvelle choqua le garçon qui se tourna vers son père avec un air horrifié "C'est vrai ? Je suis désolé papa ! Je savais pas !" Mais Livie n'en avait pas fini avec lui et elle ajouta : "Et si jamais les lettres d'excuses ne suffisent pas et que la plainte abouti, crois moi que c'est toi qui paiera l'amende ! Est-ce que c'est clair Cedric Roy ?!"
Il acquiesça vivement et se confondit une nouvelle fois en excuse avant de se mettre à nettoyer les dégâts de la goule.

Cette affaire visiblement réglée, Livie se tourna vers Simeon et se rapprocha de lui : "On devrait prévenir tes voisins avant de sortir" Elle comptait bien profiter de l'après midi de rêve qu'il lui avait promis. Elle glissa sa main dans la sienne et lui sourit comme si elle était prête à partir. Cependant, avant ça, elle préféra s'excuser une nouvelle fois : "Je suis désolée d'avoir douté de toi. Je me fais toujours aussi facilement des idées et toute cette histoire m'inquiétait et je... c'est de la bave de goule le liquide que je sens sur ta main ?"

Le récit de Cédric me désespère. Non seulement il profite de moi et me cause du tort, mais en plus il profite de la bêtise et la naïveté de son oncle. C’est clairement un abus de faiblesse.
Mais au moins je comprends mieux pourquoi Cédric ne passe plus beaucoup de temps à la maison ces derniers jours. Lui qui m’avait menti, m’affirmant qu’il avait une copine et qu’il avait un rendez-vous par-ci, une soirée en amoureux par là… Ça me désespère presque autant que le manque de morale. Des efforts pour contourner les responsabilités, des mensonges, une villa de rêve et puis quoi ? Mon fils va s’amuser à bouffer des chips avec son cousin ? La honte quoi. La honte.
Je fronce les sourcils et je laisse Livie faire la méchante flic. Elle se débrouille magnifiquement bien, et sa fermeté me rappelle pourquoi j’ai craqué pour elle. Il n’y a pas à dire : le caractère, ça fait tout.

“T’as intérêt à écouter ta mère”, dis-je quand elle termine.

Malheureusement, tout ne se termine pas aussi bien que ce que j'espérais. Quand mon ex-femme me prend la main pour m'attirer vers l'extérieur, elle sent la bave que je n'ai pas su essuyer correctement dans son dos pour rappel. Je tente de l'embobiner pour passer pour l'époux idéal :

“Même avec une baguette c’est difficile de se frotter le dos. J’attendais une occasion discrète pour retirer efficacement la bave… Je crois qu’on mérite carrément une virée dans un spa, je crois que cette histoire nous a tendus pour rien.”

Cédric a intérêt à se parer du plus beau des sourires pour parler aux voisins. C'est lui qui va rattraper notre journée. Et il a intérêt à bien la rattraper.